France. Le RN aux portes du pouvoir : comment la gauche a laissé le vide s’installer
La scène politique française traverse une zone de turbulences qui ne surprend plus personne, mais dont la portée est pourtant historique. Le Rassemblement national, autrefois cantonné aux marges, se retrouve aujourd’hui dans une position qui le rapproche, scrutin après scrutin, du pouvoir. Ce phénomène n’est pas isolé : partout en Europe, l’extrême droite connaît une ascension vertigineuse, portée par un cocktail explosif de peur sociale, de désorientation politique et de populisme savamment orchestré. Comprendre cette dynamique, c’est aussi comprendre ce qui fragilise une société bousculée par les crises et pourquoi la gauche française, morcelée et hésitante, peine à y opposer un récit crédible.
Dans un paysage saturé d’incertitudes — pouvoir d’achat en berne, tensions géopolitiques, crainte d’un conflit élargi, effritement des services publics — une partie de l’opinion cherche des réponses simples à des problèmes complexes. C’est exactement le terrain où prospère le RN, dont la stratégie repose sur une rhétorique de protection : protection de l’identité, des frontières, du « quotidien menacé ». Le discours est calibré pour rassurer autant qu’il inquiète, jouant simultanément la carte de l’ordre retrouvé et celle du danger imminent. Le populisme agit ici comme un anesthésiant intellectuel : il transforme la colère en adhésion et l’incertitude en fidélité politique.
Au centre de cette mécanique, un acteur pèse lourd : les médias dominants.
Depuis plusieurs années, une partie des grands médias nationaux — souvent contrôlés par des groupes industriels ou financiers — a contribué à banaliser et installer durablement les thèmes privilégiés de l’extrême droite. L’insécurité, l’immigration, le déclin supposé du pays occupent l’espace public bien au-delà de leur poids réel dans la vie quotidienne des Français. Plateaux télé transformés en arènes, éditorialistes omniprésents, réseaux sociaux alimentés en continu par des récits anxiogènes : le récit médiatique crée un climat, et ce climat favorise mécaniquement ceux qui se présentent comme les seuls capables d’y apporter une réponse radicale.
Le RN a compris depuis longtemps que la bataille idéologique se gagnait d’abord là. En offrant des visages plus lisses, des porte-parole formés aux codes télévisuels, il a réussi à s’extraire de l’image sulfureuse qui le poursuivait depuis ses débuts. La dédiabolisation n’est pas seulement un mot : c’est un travail de longue haleine qui s’est appuyé sur un espace médiatique permissif, parfois complice, souvent à la recherche d’audience et de polémique.
Si l’extrême droite avance, c’est aussi parce que la gauche recule. Fragmentée en une multitude de courants – écologistes, sociaux-démocrates, insoumis, communistes –, elle s’est enfermée dans des rivalités programmatiques qui brouillent son message auprès des électeurs. Pendant que le RN martèle un récit clair — même s’il est souvent mensonger ou simpliste la gauche peine à dessiner une perspective lisible sur les sujets centraux : salaires, transition écologique, justice fiscale, logement, santé, éducation.
À cette désunion s’ajoute une perte d’espérance plus profonde. Beaucoup de citoyens ne savent plus quel avenir leur est promis : emploi précaire, prix qui flambent, crise énergétique, tension internationale… Dans ce vertige, l’extrême droite apparaît, pour certains, comme une bouée de sauvetage. Peu importe qu’elle soit trompeuse : elle est visible, sonore, omniprésente. La gauche, au contraire, semble parfois absente des territoires symboliques où se jouent les imaginaires collectifs : la sécurité, la souveraineté, la projection dans l’avenir.
L’urgence d’un front uni pour contrer l’onde brune
Face à cette montée inexorable, une évidence s’impose : aucune force de gauche ne pourra, seule, contrer la poussée du RN. L’histoire récente a montré que les alliances sont difficiles, mais que leur absence est fatale. Pour espérer inverser la tendance, la gauche française a tout intérêt à dépasser les querelles d’appareil, à reconstruire un socle commun, à clarifier les désaccords sans renoncer aux convergences. La bataille ne sera pas seulement électorale: elle est culturelle, sociale, idéologique. Elle implique de reprendre pied dans les quartiers, dans les campagnes, dans les classes moyennes inquiètes comme dans les classes populaires épuisées.
En France, et plus que jamais, l’unité de la gauche n’est pas un luxe : c’est une condition de survie démocratique. Le RN pourrait bientôt ne plus être une menace hypothétique : il pourrait devenir, très concrètement, le visage du pouvoir.
Photo archives (DR)